mercredi 4 juillet 2012

Crime SuspenStories : noir c'est noir

Pour notre plus grande joie, les éditions Akileos continuent l’exploration du patrimoine EC Comics et publient les haletantes histoires criminelles de Crime SuspenStories. Ami lecteur, coiffe ton feutre, enfile ton trench-coat, grimpe dans ta Buick Roadmaster 1947 et en route pour un voyage sans retour par une nuit pluvieuse, destination : la morgue.


Né à la fin de la Seconde Guerre mondiale, Entertaining Comics ou EC Comics publie au départ des BD éducatives et religieuses. Comme chacun le sait, les voies du Seigneur sont impénétrables et, au début des années 1950, son patron, Bill Gaines, réoriente la ligne éditoriale et lance des comics de science-fiction (Weird Science), d’horreur (Tales from the Crypt), de guerre (Frontline Combat) et policiers (Crime SuspenStories). Par leurs qualités tant artistiques que scénaristiques, ces comics vont durablement marquer l’imaginaire bédéphilique. Le succès public est au rendez-vous, mais les autorités américaines s’inquiètent de la violence des situations décrites dans ces illustrés pour la jeunesse et partent en guerre contre les éditeurs. Une commission sénatoriale est même montée, qui aboutit à la création du Comics Code Authority qui édicte une foultitude de règles visant à préserver les jeunes (et moins jeunes) lecteurs de toute représentation jugée indécente ou trop violente. EC Comics entame une lente descente aux enfers puisque ses ventes s’effondrent et l’éditeur doit abandonner petit à petit ses séries avant de vendre la compagnie.


Il est vrai que, tous les mois, Crime SuspenStories insistait sur la face obscure du rêve américain en effectuant une plongée dans l’univers poisseux et sinistre du crime. Servi par des scénaristes très efficaces, les histoires de 6-8 pages relatent de bien sombres mœurs : maris souhaitant se débarrasser de leur acariâtre épouse, vamps cyniques harponnant un benêt fortuné, ménagères de moins de 50 ans rêvant de s’enfuir avec leur amant non sans avoir trucidé leur régulier, héritiers cherchant à toucher plus rapidement l’héritage du vieil oncle, maniaques homicides et autres "tueurs à la hache". Toutes ces histoires forment une inquiétante Comédie humaine, un télescopage étonnant entre l’univers rassurant des femmes au foyer pas encore désespérées et celui de Charles Manson. Mais là où ces intrigues constituent de petits chefs-d'œuvre d'humour noir c’est que, dans la plupart des cas, une implacable fatalité digne d'une tragédie grecque conduit le criminel à finir victime à son tour de son propre méfait. L’assassin meurt empoisonné par le poison qu’il a administré à sa victime, une meurtrière est condamnée… mais pour un crime qu’elle n’a pas commis, un apprenti meurtrier finit lui-même étranglé par "le tueur ricanant" qu’il entendait imiter pour camoufler son crime… Un véritable jeu de massacre ! On reste parfois pantois devant la noirceur de ces crimes commis par des beautés fatales en jupe plissée et des hommes portant chapeau feutre et costume croisé.


Appuyant ces ténébreux scénarios, les dessins, réalisés par les plus grands maîtres des années 1950, sont de véritables merveilles : Jack Davis (1924-) la quintessence du style EC ComicsWally Wood (1927-1981) et son dessin extraordinaire de précision, Harvey Kurtzman (1924-1993) au trait si expressionniste, Jack Kamen (1923-2008) et ses filles longilignes aux grands yeux…


Ami lecteur, il te faut lire à tout prix ces histoires au style très hitchcockien, ces thrillers aux ambiances de film noir, regorgeant de femmes fatales et de tueurs froids tirés à quatre épingles, roulant pied au plancher vers leur funeste destin. C’est une question de vie… ou de mort.

Longue vie au Triangle !

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