dimanche 16 décembre 2012

The Losers par Jack Kirby : l’étoffe des héros


Parmi la longue et féconde carrière de Jack Kirby (1917-1994), génie américain du Neuvième Art, The Losers, se détache particulièrement comme l’archétype du comic de guerre, viril, sévèrement testostéroné, et en même temps sérieusement délirant grâce à la géniale « Kirby’s touch ».

N°152, décembre-janvier 1974-1975
© DC Comics

Entre 1970 et 1975, en désaccord avec son employeur, le « King of Comics » alors au sommet de son art quitte Marvel pour l’éditeur rival DC Comics. Là, de 1974 à 1975, on lui confie entre autres la reprise d’une série née en 1969, publiée dans Our Fighting Forces : The Losers. Durant 12 numéros Kirby écrit et dessine cette série avec le brio qu’on lui connaît, s’éloignant un peu de la veine super-héroïque qui fit sa gloire (lire la chronique de Fantastic Four n°84-87). Il reprend donc ces histoires de guerre mettant en scène un groupe de soldats américains durant la Seconde Guerre mondiale, réunis en une sorte de commando de têtes brûlées n’ayant rien à perdre, que l’on envoie dans les missions les plus désespérées : Captain Storm (un marin borgne), Johnny Cloud (un pilote indien), Gunner et Sarge (deux GI’s).

N°154, avril 1975
© DC Comics

Attention ami lecteur, pas d’histoires subtiles et finement ciselées ici, nous sommes dans l’action pure. Et, en toute honnêteté estimée lecteur, les yeux dans les yeux je te le dis avec le sourire gourmand et carnassier d’un sale gosse matraquant ses Playmobil à coup de marteau, ça décoiffe. Le roi du comic, maître de l’action super-héroïque et de l’odyssée cosmique, dessine la guerre comme personne. Ses scénarios ont beau être invraisemblables, ils « scotchent » le lecteur, tel un malheureux bidasse surpris en plein no man’s land par une fusée éclairante. Les Losers sont ainsi déployés sur tous les fronts (France, Italie, Amérique, Yougoslavie, Birmanie, Russie etc.) sans l’ombre d’un souci de réalisme stratégique. Dans un épisode où ils se déguisent en officiers SS, personne ne semble trouver curieux que l’un d’entre eux soit… navajo. Souvent blessés, jamais mutilés, les Losers serrent les dents et continuent de canarder l’adversaire avec la puissance de feu d’un croiseur. Mais grâce au génie de Kirby, toutes ces incohérences sont oubliées devant l’énergie qui se dégage de ses planches. Ayant fait la guerre en France, entre 1944 et 1945, Kirby sait de quoi il parle et a pu observer les hommes au cœur des combats : chacune de ses cases sonne juste. Ici les soldats engoncés dans leur équipement progressent dans une ville française dévastée. Là le souffle d’une explosion projette les hommes au sol avec un réalisme impressionnant. À chaque fois, le trait puissant du « King » souligne la force de caractère de ces hommes inflexibles au menton carré. Que les choses soient claires, les Losers ne sont pas des gonzesses ! Mais Kirby ne verse pas pour autant dans la propagande, voire dans l’affiche de recrutement à peine déguisée pour les US Marines. Il ne masque pas l’atrocité de la guerre. Dans l’épisode intitulé Ivan (n°160, octobre 1975) il montre ainsi une scène d’exécution de civils à la mitrailleuse qui fait froid dans le dos. La guerre n’est pas un spectacle ou une belle aventure, c’est aussi l’horreur. Notons enfin que pour Kirby, fils d’immigrés juifs austro-hongrois, combattre le nazisme, durant la guerre d’abord, avec sa plume ensuite, prenait tout son sens.

N°155, mai 1975
© DC Comics

Selon moi, ce qui distingue aussi particulièrement The Losers c’est le grain de folie toute kirbyenne qui point ici ou là. Dans l’épisode 157 (juillet 1975), nos héros affrontent un commando de la cinquième colonne mené par l’impressionnante Panama Fattie, aux formes dignes de la Vénus de Willendorf. Dans The Partisans (n°155, mai 1975) Sarge est témoin et artisan de la vengeance d’outre-tombe d’un bien mystérieux partisan yougoslave. Dans The Major’s Dream (n° 161, novembre 1975) un officier britannique fait des cauchemars fort psychédéliques après le massacre de ses hommes dans un temple niché au cœur de la jungle birmane. Bref, même dans un comic de guerre – forcément plus réaliste – Kirby sera toujours Kirby.

N° 156, juin 1975
© DC Comics

Près de 40 ans après leur parution, je viens de découvrir ces pages par hasard dans un gros volume paru en 2009 chez DC Comics et rassemblant tous les épisodes des Losers dessinés par Kirby. Gamin, je traquais pourtant les dessins de Kirby dans les Strange et autres publications des éditions Lug. Mais je n’avais jamais vu Les Perdants (Traduttore, traditore !) paru au début des années 1980 dans Choc, BD de guerre en petit format que l’on trouvait alors dans les kiosques de gare, soigneusement caché entre les revues légères et autres Satanik. Eh bien, c’est un peu comme de découvrir un lingot d’or au fond de la vieille malle poussiéreuse qui traîne au grenier, cela fait plaisir !

N° 157, juillet1975
© DC Comics

Longue vie au Triangle !

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