mardi 9 avril 2013

Bernie Wrightson : American gothic


Voici quelques temps, par une nuit glaciale et sans lune, alors que je m’étais perdu dans un quartier désert et mal famé de la ville, j’eus la bonne fortune de faire l’acquisition chez un antiquaire borgne au sourire cauteleux d’un volume publié par l’éditeur américain Dark Horse, rassemblant les travaux de Bernie Whrightson pour les magazines Creepy et Eerie. Bravant les ombres de la nuit, je m’empressai de regagner mon antique demeure, l’épais grimoire sous le bras. Fébrilement, je courus m’enfermer dans mon étude, parcourant compulsivement les pages à la lumière d’une bougie tremblotante. Ô mon âme, quelle noire splendeur, quelle atmosphère enténébrées dans ces pages. Tu l’auras compris, ami lecteur, pas la peine d’en faire des tonnes, j’aime cet artiste et les ambiances fantastiques qu’il crée. Entrons sans plus tarder sur les terres inquiétantes du maître du gothique yankee et de l’horreur victorienne transposée dans le Nouveau Monde.

© Dark Horse Comics

Né à Baltimore, le jeune Bernie Wrightson est profondément marqué par les comics d’horreur de l’éditeur EC Comics. Autodidacte, il apprend à dessiner en les recopiant et en prenant des cours par correspondance. Bloody Hell ! Que ces dieux du dessin sont assommants, avec leur génie ! En 1966, à 18 ans, il devient illustrateur pour le Baltimore Sun. À partir de 1968, Wrightson travaille pour DC Comics et dessine des histoires fantastiques pour House of Mystery. En 1974, il intègre Warren Publishing et ses magazines Creepy (lancés en 1964) puis Eerie (lancé en 1966), des comics d’horreur s’inspirant de ceux des années 1950, mais déjouant les foudres de la censure en publiant des histoires en noir et blanc au format magazine, pour un public plus âgé. C’est là justement ce que l’ouvrage de Dark Horse donne à voir : l’ensemble des histoires courtes, couvertures et autres pages d’introduction dessinées pour Warren.

Uncle Creepy, la mascotte de Creepy, dessiné par Wrightson, 1974.

Très inspiré par la littérature fantastique d’Edgar Allan Poe, de Howard Phillips Lovecraft ou Mary Shelley, notre artiste illustre dans ce recueil plusieurs de leurs œuvres (The Black Cat, Cool Air, The Muck Monster prélude à un magistral Frankenstein). Si Bernie Wrightson rend magnifiquement les ambiances gothiques du XIXe siècle, il excelle aussi à décrire l’Amérique du début du XXe siècle comme une sorte de double maléfique et perverti de la vision idéalisée peinte par l’illustrateur Norman Rockwell. Dans Nightfall, il revisite avec ironie Little Nemo in Slumberland, jouant sur la peur du noir qu’a expérimenté chaque enfant. Dans Jennifer ou The Pepper Lake Monster, le lecteur découvre que les bois isolés ou les villages reculés des États-Unis peuvent être d’un mortel… Dans Country Pie, le tueur sur la route n'est pas forcément celui que l'on croit. Grinçant, grandiloquent, Wrightson est un véritable passeur du fantastique américain, réunissant dans un même univers cauchemardesque la légende du cavalier sans tête et la famille texane dégénérée de Massacre à la tronçonneuse.

Creepy 113, novembre 1979, numéro spécial consacré à l'artiste

Précis et fluide, le dessin de Bernie Wrightson se caractérise par un sens du mouvement formidable, à la fois emphatique et assez théâtral. Son rendu baroque de la décrépitude, sa maîtrise du clair-obscur en font un illustrateur hors pair, un maître du fantastique américain. Et ce ne sont pas Uncle Creepy et Cousin Eerie qui me contrediront...

Longue vie au Triangle !

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