vendredi 29 novembre 2013

Bouncer : le maudit manchot

Alors que sort de 9e tome de Bouncer, attardons-nous un peu sur ce western baroque et outrancier qui plonge allègrement le bédéphile dans les vastes espaces poudroyants du Far-West.


© 2012, Éditions Glénat

Sois prévenu, ami lecteur, ici point de pistolero au cœur pur, défenseur de la veuve et de l’orphelin à la Jerry Spring. Bouncer se déroule dans l’Ouest crasseux, sauvage et féroce, dans lequel les assassins sont légion, les juges et les shérifs sont corrompus jusqu’à la moelle, les femmes sont des putes, des garces ou des victimes. L'innocence y est une denrée rare. Scénarisée par le Chilien fou Alejandro Jodorowsky (le scénariste de L’Incal), et dessinée par François Boucq, cette série tient plus du western crépusculaire agrémenté d’un soupçon de dinguerie extravagante toute latino-américaine.


© 2013, Éditions Glénat

Les 9 tomes peuvent se subdiviser en quatre cycles qui narrent les aventures d’un pistolero manchot exerçant la noble profession de videur de saloon – d’où son surnom : Bouncer. Il faut dire que notre héros jouit d’un passif familial assez chargé. Fils d’une catin pétroleuse et fumeuse de cigare, il est affligé de deux frères aussi mauvais que des teignes. Le premier cycle (tome 1 et 2) évoque la sanglante lutte entre les trois frères pour mettre la main sur un diamant volé par leur mère et nommé (sans rire) l’œil de Caïn. C’est d’ailleurs au cours de ce que nous appellerons pudiquement une querelle familiale que le Bouncer perd son bras. Le cycle suivant (tomes 3 à 5) évoque une sombre histoire de vengeance. Le troisième (tomes 6 et 7) met le Bouncer aux prises avec une redoutable femme fatale qui tente d’accaparer toute les terres de la région. Le dernier cycle, enfin (tomes 8 et 9), envoie le Bouncer dans un terrible pénitencier perdu au milieu du désert pour traquer un assassin qui n’est autre que le fils du directeur dudit établissement.


© 2001 Les Humanoïdes associés SA

Cornaquée par un scénariste aussi démesuré qu’Alejandro Jodorowsky, la série ne pouvait être qu’excessive. Outre les obsessions mystiques de son créateur, on y retrouve un certain nombre d’éléments déjà développées dans son film mythique El Topo (1970) : quête initiatique, culte de la difformité, violence outrée… La galerie de monstres que l’on croise est proprement hallucinante : des soudards sudistes déclamant de la poésie entre deux massacres, un ogre cannibale, un tueur psychopathe arborant un fer de hache planté dans le crâne et affublé d’une chiée de gamins aussi meurtriers qu’une Gatling, des massacreurs d’Indiens, des lyncheurs, des violeurs etc. Ajoutons des freaks en pagaille : borgnes, bossus, hermaphrodites, nains et… un héros manchot. Nous avons là une vision de la Conquête de l’Ouest pour le moins singulière et éloignée des canons classiques du western. John Wayne doit s’en retourner dans sa tombe.


© 2002 Les Humanoïdes associés SA

Tel un Charles Quint du Neuvième Art, notre Jodo de scénariste semble avoir adopté la devise « Plus oultre » pour écrire ses scénarios. La tragédie shakespearienne percute le western. Mais pour autant, la part d’excès de Bouncer reste contenue et cette série conserve une solide cohérence. Certes, certains rebondissements du scénario sont parfois un peu grossiers ou faciles, mais, avec un soupçon de plaisir coupable, le bédéphile ne demande qu’à se laisser griser par le souffle de l’aventure.


© 2005 Les Humanoïdes associés SAS

Il faut avouer que le dessin de François Boucq est saisissant. Manifestement, l’artiste prend plaisir à dessiner les vastes étendues d’un Far-West de carte postale où l’on passe de manière un peu irréelle des étendues désertiques de l’Arizona aux forêts enneigées du Wyoming. Certaines cases sont de véritables écrans en Cinémascope, s’étendant sur toute la largeur de la page. Expressifs, les personnages de Boucq sont cependant toujours à deux doigts de la caricature. Entre Brueghel et Daumier, ils sont animés d’une vie extraordinaire. Magie du Neuvième Art !


© 2006 Les Humanoïdes associés SAS

Western foutraque, excessif et exalté, Bouncer, malgré ses imperfections, est une série diablement attachante.

Longue vie au Triangle !

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